Nouvelles de Benoît L'Hostis

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Musique de © Guillaume Pluvinet - Kidu & extrait du film "Les Forbans de la Nuit" de Jules Dassin (1950)

Quelques pluies avant les beaux jours

La famille

Sûrement que si

X

"Quelques pluies avant les beaux jours..."

quelquespluies.JPG (96306 octets)

On devait se barrer vers 23 heures, rouler toute la nuit, pour arriver dans un patelin à coté du Mans. C’était ça le programme. Pour un festoch'. On se retrouvait chez Nico. Moi j'avais déjà 1 heure de route pour descendre au Sud-finistère. Guit nous rejoignait là bas avec Mat et le camtar'. Il faisait bien sec et soiffard autant que je m'en rappelle. La soif, Nico il se l'était étanchée pendant l'après-midi, si bien que j'ai vite compris que j'allais conduire toute la nuit. Goulvy et Magda avaient, comme Nico, bien respecté les recommandations ministérielles qui sont données lors de canicule. On a vite rangé les quelques affaires dans ma caisse, des bouteilles surtout, mais je vous ai rien dit.

On n'avait pas besoin de grand chose non plus. Moi je dormirai dans ma caisse avec Nico, et les autres dans le cam. La bouffe, on trouverait en roulant.

Et puis, d'ailleurs, Mag, il est finalement pas venu. Ca faisait une place en plus.

Donc, après avoir rangé tout le merdier, on a fait chemin. J’avais un peu peur de la panne le long de la route. C'est qu'elle était pas jeune ! La calandre avant avait une fâcheuse tendance à se barrer. J’avais plus ou moins résolu le problème avec de la ficelle. Ca a bien tenu finalement... On s'était aussi équipé d'un lecteur CD. La grande classe ! Ca criait beaucoup dans la voiture.

Juste le temps de téter le goulot, et ça recommençait. Moi j'avais rien qu’un peu de cola. Ça ferait pas longue vie. Les autres, ils avaient décidé de faire du "Calimoutcho" (du Cola-vin). Avec leurs conneries, il faisait chaud dans la voiture. J’ouvrais ma fenêtre. Mais le bruit du moteur et la route… On n’entendait plus la musique. Ca a râlé direct. Les lois de la démocratie sont ainsi faites que j'ai dû fermer ma fenêtre et subir les effluves de vin, de bière, et les haleines qui vont avec.

Nico piquait du nez dès qu'il y avait des accalmies dans la voiture. Comme il ne vit qu'avec une bière à la main, il en foutait partout. Tant qu'il n’en mettait que sur lui moi je m'en fichais bien, mais on peut pas compter sur Nico pour ces choses-là. La boite de vitesse, le vide poche, le frein à main, la boite à gants, le siège... Un tsunami. Si je le réveillais, il débitait deux trois conneries et il s'ouvrait une autre bière, après avoir constaté que celle qu'il tenait était vide. Je l'ai finalement laissé s'endormir après qu'il ait fini de m'en foutre partout...

Tant que ça roulait, moi je ne me posais pas trop de questions. On suivait la route, rythmé par les panneaux indicateurs. Tant qu'on roulait vers l'est, c'était la bonne direction. C’est arrivé à Vannes que ça me disait moins.

De tête on avait dit Rennes-Laval-Le Mans. Vannes c’était pas trop la route prévue.

Evidemment on n'avait pas de carte. Sortie à la première bretelle ; on s'est arrêté sur un parking de supermarché. Guit, il en avait bien une, de carte, mais il ne l'a pas regardée parce qu'il pensait qu'on connaissait la route. Ca fait toujours plaisir de savoir que quelqu'un vous fait encore confiance... A la carte on a vite conclu qu'on pouvait encore rejoindre Rennes. Ca faisait des kilomètres en plus... Nico, pendant ce temps ; il avait trouver judicieux de se vider un peu, de profiter du temps de pause... Ensuite Il s'est assis tant bien que mal sur le rebord du trottoir.

Vu qu'on reprenait la route, je suis parti lui causer en privé. Comme j'avançais, il est revenu à lui. Là il me sort comme quoi Goulvy elle vient pas avec nous pour le concert. Qu'elle va prendre le train au Mans pour aller au sud de la France. Elle fugue. Que lui ça le dérange parce qu'il connaît ses parents, qu'on est complices... que ça lui fout bien la morose cette histoire-là, qu'il a pas trop envie d’en rire.

Il était plutôt sérieux même bourré. Moi je devais être un peu fatigué, mais son histoire de complicité de fugue, elle me foutait pas d'émotion du tout. Je l'aidais à se relever en lui disant que c'était pas grave, que ça arrive. Mais il y tenait fort à ce que je culpabilise avec lui. Il remettait une couche de "on est complices", "elle ne sait pas ce qu'elle fait, qu'il faut qu'on lui dise, à elle, ce qu'on en pense". Comme elle était dans le même état que Nico, moi ça me disait trop rien, le coup de la leçon.

Mais j'ai pas eu le choix. Nico l'a appelé. La ramener chez elle, j'y pensai pas, ça aurait été trop la merde. L’idée, je l'ai eu, d'un coup. Des fois, on ne sait pas trop ce qui vous l'a soufflé. Direct, comme elle arrivait, je lui ai dit que ça serait bien qu'elle appelle ses parents demain, pour leur dire ce qu'elle faisait. Voilà ce que je lui ai dit. Sans même lui donner de motifs.

Rien.

Je sais pas si elle les a appelés, mais ça convenait à tout le monde, et à moi surtout.

On s'est réengagé sur la route. C'était moins drôle dans la voiture, à cause de ce qui s’était passé. Les autres, ils se sont endormis. La route la nuit ça endort facilement aussi. Du coup, vu que je restais éveillé, j'ai eu le temps d'y repenser à l'affaire. J'y ai pensé dans tous les sens, tous les points de vue.

J’essayais d'oublier en me concentrant sur la route, ou de penser au lendemain, mais quand on a tout le temps de réfléchir on retourne forcément vers des "problèmes". On a passé Rennes et on a récupéré l'autoroute. Déjà le jour il n'y a pas grand chose à voir, mais l'autoroute la nuit c'est pire. A part quelques camions, on se sent vite seul. Guit il suivait toujours, de près ou de loin.

Lui, il avait Mat pour le distraire. C’est vrai qu'on aurait dû mieux répartir les problèmes. Il aurait pu prendre Nico et ses bières ou Goulvy et sa fugue. Ma seule vertu c'est bien les problèmes. Ca m'aide à vivre aussi, faut dire.

Et puis cette histoire, après tout, j'y avais rien à voir.

C’était son histoire à Goulvy, et je n'avais aucune raison de la lui usurper. Les soucis on n’y pense que quand on a le temps, et là le temps pour y réfléchir, je l’avais un max. Traversé Rennes, et à l'approche de Laval, ça faisait beaucoup d'heures de réflexion. J’ai décoincé quand Guit m'a appelé sur le portable. Lui aussi il était épuisé de la monotonie de la route. Il me proposait de s'arrêter à la prochaine station pour faire une pause et un café. Moi j'étais d'accord avec son idée, alors dès qu'il y a eu une station on s'est arrêté. 24/24h qu'elle était, la station ! On s'est garé prés des camions. Guit, Mat et moi on est parti à la station pour voir la couleur du café. Faire une pause et boire un bon p'tit café c'est quand même chouette. L’accès arrière était fermé. On a vite fait le tour. Le devant aussi il était fermé... A l'intérieur, c’était allumé pleins feux. On a posé nos lorgnons contre la vitre pour voir ce qu’il y avait dedans. Il y avait juste un gars derrière son comptoir qui s'instruisait d'un magazine. On a tapé les vitres, les battants, la ferraille pour qu'il vienne nous ouvrir. Lui, il avait pas trop envie. Il a effacé nos rêves de café en nous signifiant par quelques gestes qu'on pouvait aller se faire voir. On a gueulé sur les vitres quelques minutes, mais comme ça servait à rien, on a finit par se tirer.

Nico, la pause, lui, ça l'a réveillé. Nous, on revenait vers les voitures avec notre histoire à la bouche. Ca l'a rendu bien curieux, Nico, qu'on ait eu une histoire. Nous, on la lui a raconté, avec plein de détails en plus, pour rendre la chose intéressante... On en a peut être fait beaucoup. En tous les cas, Nico, il avait décidé, lui, d'aller faire des histoires au gérant. Il nous l'a pas dit, mais on a vu comme il allait déterminé vers la station. On l'a suivi, il avait un peu d'avance. Il est passé direct vers la porte de devant. Et le temps qu'on arrive, il gueulait déjà sur le gérant à travers la vitre. Je sais pas ce que le gérant a répondu, mais Nico, lui, il s'est défroqué et il lui a montré son cul…

On a bien ri, même si du coup, le café, on l'avait dans le cul aussi...

Heureusement, Mat avait du Cola qui n'était pas "Calimoutcho". J’avais donc le droit de boire. Ca ne valait pas un café chaud, mais ça dépannait bien. On a décidé de reprendre la route après avoir bien tari la nouvelle histoire que l'on venait de se mettre dans la besace. C’était toujours la même histoire, mais chacun avait vu un autre détail qui valait son pesant de parlote. Ca décontracte bien ces petits événements ! Le reste du trajet s'est mieux passé ainsi. Et puis Nico avait décidé de ne pas s'endormir pour me tenir compagnie. Il me parlait du passé, de l'avenir, avec des petites blagues aussi. On a refait le monde un petit peu, et on a débattu beaucoup. Il évitait de me parler de Goulvy. Il voulait juste causer pour oublier un peu. Je me sentais bien moi. Ca vide le ciboulot, les blablas. On était épuisés en plus. Les sentiments sortaient plus facilement.

Le jour commençait déjà à se lever, enfin, il faisait moins nuit. Cinq heures qu'il était. On arrivait au Mans. C’était tout mort dans les rues. Même les feux de signalisation ils étaient au repos. En suivant bien les panneaux, on a vite retrouvé la gare. Comme on rentrait sur le parking, Mat nous a klaxonné. Il préférait aller direct sur le lieu du concert. Je l'aurais bien suivi, mais j'avais une petite épreuve à passer avant...

On a réveillé Goulvy pour lui dire qu'on était arrivé. Nico s'ouvrait déjà sa première bière de la journée. On a essayé de parler sérieux avec Goulvy, savoir où elle allait, ce qu'elle comptait faire. Rejoindre son copain, ça c'était sûr, c'était son idée. Pour le reste, elle savait pas trop. Son copain à Goulvy, c'était quand même quelqu'un. "Déchet", c'était comme ça que Nico le résumait, le copain de Goulvy. Il cherchait bien sa réputation aussi. La discussion sérieuse n'a pas durée longtemps. On s'en fichait tous un peu. Il valait mieux oublier surtout. On a déambulé dans les rues après que le billet de train a été retiré. De rues en rues, de places en places. Nico et Goulvy se partageaient leurs provisions, un peu de bière, beaucoup de Calimoutcho. Moi je n'avais vraiment pas envie. J’aurais préféré être seul. Goulvy, elle était un peu saoule ; elle le faisait croire surtout. Elle devait se rendre compte que ça me chiffonnait son "petit jeu".

Elle essayait de nous faire rire, juste penser à autre chose. Elle criait des conneries, comme ça, dans la rue. Elle voulait qu'on ait d'autres histoires, qu'on oublie un peu la sienne. On s'est posé sur les marches d'un bâtiment, presque au centre ville. Goulvy n'arrêtait plus son cirque. Nous on répliquait pas, on évitait. Ca ne pouvait donner que des possibilités d'engueulade, c'était couru.

Un mec s'est avancé vers nous, sorti de nulle part. Il allait chercher son pain ou un truc dans le genre. Il avait dans les 40 ans. Il nous a demandé ce qu'on faisait. Il entamait une discussion. Ca semblait lui faire du bien de parler. Il a continué. Il ne dormait plus trop la nuit, c'était ça le truc. Que c'était pour cela qu'il était dans les rues tôt le matin. Il a fini par nous avouer que c'était parce que sa fille s'était suicidée qu'il ne dormait plus. C’était aussi pour ça qu'il nous parlait, on le savait. Il a donné tous les détails du suicide. La soirée, l'alcool, la drogue et enfin la défenestration. Il racontait ça bien. Moi j'essayais de m'imaginer la soirée, l'immeuble, la chute. Ca faisait réfléchir. C’était beaucoup à Goulvy que semblait s'adresser ce message, sans que le vieux il le sache.

Il recherchait des réponses chez nous... Je lui aurais bien dit, que les réponses, elles n'étaient pas chez nous. Mais j’aurais été dur.

"Amusez-vous les jeunes" qu'il n'arrêtait pas de dire. Moi je ne m'amusais plus depuis longtemps. Il devait p’têt croire qu'on s'amusait… Pourtant la fille qu'il avait sous les yeux elle fuyait aussi ses parents, comme sa fille à lui l'avait fait, en passant par la fenêtre. On ne s'amusait plus dans ce monde, c'était peut-être ça le problème.

Lui il continuait son exposé. Ça lui avait fait beaucoup de mal de perdre sa fille. Un torrent de douleur, toute son histoire. Il nous aurait bien noyé avec.

Toute la jeunesse aussi. J’ai cru qu'il craquait. C'était ma crainte. Du coup j'essayais de lui parler, de trouver des réponses à ses questions. Fallait éviter le drame. Voir un père pleurer à cinq heures du mat' après une nuit blanche pleine de petits rebondissements, ça nous aurait fait beaucoup. Et comment il aurait réagit aussi... Il aurait pu nous la tuer la Goulvy. Comme je m'intéressais à ce qu'il disait, ça lui a fait plaisir. Je l'ai vu à son regard. Ca ne trompe pas... Je l'ai trouvé sincère son histoire, c'était déjà ça. Ca me donnait une raison de l'aider. Ce qu'il voulait surtout, c'était qu'on l'écoute. Je le comprenais bien. On ne change pas l'humain. Et puis, elle restait vivante, sa fille, tant qu'il parlait. Il avait donc toutes les raisons de le faire. Il nous en a remis une couche de son histoire, et des douleurs qui allaient avec, puis il s'est séparé de nous. Il avait déposé ses rancœurs. A nous de prendre celles qu'on voulait. Moi, j'étais ailleurs, d'autres soucis, j'avais surtout la grosse envie. Le faire dans la rue, non ! Le seul bar ouvert, c'était celui de la gare. C’était aussi l'occaz de boire un café. J’ai pas traîné. Je suis parti seul. La chose faite, je l'ai pris, enfin, ce café. Le serveur il était classe : costard, cravate, plastron et tout et tout. Avec son sourire de constipé, il m'a fait réfléchir. Il devait être père lui aussi. Une brigade d'ignares qu'il devait avoir. Le regardant, je me disais qu'on ne fait jamais de grandes choses ici bas. Des projets sur le temps. Des Edens psychologiques. Et des rêves à jamais pour se donner de l'espoir. Travailler pour nourrir des marmots qui se défenestrent tôt ou tard dans les abîmes de la vie. La reproduction, c'est ça le truc. A jamais pour toujours.

Il m'a foutu la nausée ce serveur.

 

© Benoît L'HOSTIS 2006

 

La famille

 

Nous de la famille, on en a eue. On se l’est inventée un petit peu aussi. Notre père il avait des tontons et une tata qui vivaient à quelques kilomètres de chez nous. C'était les frères et sœurs de ma grand-mère. Vu que notre père les appelait tonton et tata, nous aussi on les appelait comme ça, alors que c'était pas vrai. On a commencé tellement jeune que je ne savais plus trop à quoi ça correspondait vraiment une tante et un tonton.

Ils vivaient tous ensembles dans le même quartier, dans deux maisons différentes. A part eux le quartier était vide en fait. Il y avait deux frères et leur sœur. La sœur s'est mariée puis est venue, elle et son mari, vivre avec ses frères. C'était pour pas les laisser seules qu'on m'avait dit. Son mari on l'appelait "tonton" aussi, comme les autres, alors qu'il l'était encore moins. C'était comme ça. Ca ne gênait personne, et puis, ils n'avaient pas d'enfants, ça permettait de leur faire un peu plus de famille.

Il y a un premier oncle qui est tombé malade. Bien malade même, il avait droit à l'hôpital. Il avait Alzheimer. Puis il a eu des crises d'épilepsie. Des sursauts au cœur aussi. Il était vieux en fait. Il y vivait à l'hôpital. Il avait sa chambre, toujours la même. Dès qu'il faisait soleil, on fermait les rideaux. Le ciel gris ça ne le gênait pas. De fait, il n'avait le droit que de regarder les nuages gris dehors. Il ne devait pas être perturbé par ce détail. Il vivait surtout au lit. Rarement vu debout. Il n'avait pas trop de raison de se lever non plus, le reste de l'hôpital était aussi constitué de vieux, et le jardin, il était nul.

A la longue il son état empirait. Nous, on allait le voir souvent. Obligés. Le dimanche que c'était. Les horaires étaient plus faciles. A force on les connaissait, les meilleurs horaires. C'était comme les infirmières. Ma mère elles les connaissaient toutes à force. Elle savait les filles de qui c'était, avec qui elles étaient mariées, le travail du mari. Ca faisait la discussion avec mon père. Nous on connaissait juste quelques personnes de vue. Des vieux, assez typés pour la plupart. Quand on est jeune ce sont les différences que l'on voit en premier. A la porte du tonton, on frappait fort et sec. On attendait un peu, puis on ouvrait doucement la porte. On avait, au fond de nous, la crainte du pire. "Bonjour ! " on criait alors en rentrant. Ca c'était pour le réveiller un peu. S'en suivaient les bises. Nos parents, ils criaient fort notre nom pour qu'il entende et comprenne peut-être. Nous on escaladait le lit pour déposer une bise sur sa joue. Il était blanc sur son lit. Il ne parlait presque pas. Mes parents, eux, ils inventaient la discussion, ils faisaient semblant que tout était normal. Mais l'oncle, à force, il était malheureusement plus en état de la suivre, la discussion. Il était ailleurs.

Au fil des mois il ne se souvenait plus de nos noms. Savait-il où il était ? Des fois quand même, il arrivait à nous reconnaître. Ca faisait bien plaisir à tout le monde. On disait qu'il avait meilleure forme, que ça allait vraiment mieux. On donnait l'espoir. Moi ça me faisait un peu peur.

L’hôpital déjà. C’était pas bien gai. Plein de vieux en errance. Je l'ai vite compris la vie. J'ai su jeune ce que j'allais devenir. Je l'ai vu la mort, jeune.

L'oncle, lui, la mort il l'a vue pour de vrai, un soir, quand je rentrais de l'école. Enfin, c'est là qu'on me l'a dit. Ca a mis beaucoup de chagrin dans le cœur de tout le monde. Ma grande sœur elle a eu le droit d'aller à l'enterrement. Moi je n’avais pas l'âge. J'aurais aimé garder ce privilège toute ma vie...

Après, nous on a eu le droit de passer les vacances chez les oncles. C'était surtout parce que les parents n'avaient pas le temps de s'occuper de nous.

Eux, les oncles, ils faisaient encore le porc à l'ancienne... Ca se passait dans la grange, au fond, bien discret. Un boucher professionnel venait pour la découpe, après que mes tontons avaient égorgé le cochon. On n’avait pas le droit de voir l'égorgement, mais rien qu'au bruit, il ne devait pas s'amuser le cochon. Le boucher, lui, il brûlait tous les poils au chalumeau. L'odeur m'est restée depuis d'ailleurs. Pendu par les pattes arrière, le cochon était ouvert au couteau sur toute sa longueur. Le boucher tirait tout le merdier du dedans. Les intestins étaient gardés pour faire du boudin… Une affaire, ce truc ! On gardait le sang aussi du coup. Le butcher enlevait les reins, le foie et tout le bastringue. Pour le moins bon, c'était le chien qui se régalait.

Après ça, le cochon il n’en avait pas encore eu assez. C'est à la hache qu’on le terminait, c'est vous dire. Il n'y avait pas de sentiments. C'était bien un coup à me faire vegans. Mais non. C'était sans compter qu'il fallait encore tout le manger le cochon, et cela dès le premier soir. C'était obligé. Si on ne mangeait pas, on nous brandissait les menaces. On finirait comme le cochon, par les deux pattes... Autant dire qu'on ne la ramenait pas. Les années passant, ça n'a pas duré. Trop de travail. La législation a changé aussi. Ça ne devenait plus possible, l'abattage à la ferme.

Moi, les vacances chez les oncles, ça ne me dérangeait pas. On avait le droit de faire ce qu’on voulait. On mangeait bien. On avait pas mal de bonbons aussi.

C’était encore le boulanger, avec son vieux cam’. Il entrait dans la cour de la ferme, avec le Klaxon et tout et tout. Les bonbons, c’étaient à l’arrière que ça se passait. J’avais le droit à deux ou trois cochonneries. Le reste, c’était au supermarché qu’on l’achetait.

C’était le dépaysement mine de rien. Pourtant pas bien loin de chez nous. Une demi-heure à peine. Mais c’était bien plus paisible qu’à la maison. On avait vraiment le droit de s’amuser. C’était bien reculé aussi. Peu de fréquentations, pas de voitures. Moi je me barrais souvent seul dans les champs. C’est avec eux, je veux dire les tontons, que j’ai eu mon premier vélo tout-terrain, dont je me rappelle du moins. C’était le truc. Au début on ne devait faire du vélo qu’à deux, ma sœur et moi. On a fait pas mal de kilomètres. Puis je suis vite parti seul, à force. Ils n’ont rien dit. Fallait juste dire qu’on partait et revenir pour la soupe. C’était l’aventure pour moi. De rouler sur des chemins inconnus. Se donner l’impression d’être perdu…Sinon, à par le marché le lundi, l’oncle et la tante nous envoyaient à la plage. Obligatoire. Moi ça ne m’a jamais trop dit, la plage. Du sable, de l’eau, des gens à nu. On me sortait de ma campagne pour me foutre à poil sur du sable. Tout un programme !

Des fois, l’oncle et la tante me poussaient à aller me faire des copains avec les ignares de mon âge. Ca me faisait chier. Je faisais semblant d’y aller, mais j’allais me planquer seul dans les rochers.

Un des oncles avait une prothèse à la place de la jambe. Lui il venait pas à la plage. Il était des fois gai. D’autres fois bougon. Il vivait de tabac. Parfois de vin. Il trouvait quelques activités pour la journée. Il me racontait quelquefois ses histoires. Des regrets éternels. Il essayait d’en rire, pour se mentir à lui-même. Mentir à son désespoir.

Lorsque la toux le prenait, il ne s’arrêtait plus pendant cinq minutes. Il en mourrait de tousser. Une fois terminé, il s’en allumait une autre, de clope. Je l’ai connu tôt, la déchéance humaine. Quand plus rien n’a d’importance. Quand on se dit que la vie n’a pas valu le coup…

Chez les oncles, on y restait trois semaines environ. Après on rentrait.

Dés lors, l’été était fini, même s’il restait encore deux ou trois semaines de vacance. Les dimanches pluvieux revenaient…

Avant de nous quitter, ils nous filaient de la thune. Ils faisaient ça discrètos, quand on disait au revoir. Les parents ils se leurraient pas. Ils le savaient. Mais on le faisait quand même. Fallait un peu de pudeur. Nos parents ne nous filaient pas d’argent de poche, même s’ils faisaient largement de leur mieux. On cachait quand même. On cachait.

Je pense maintenant, avec le temps, que c’était pour nous remercier. Parce qu’on venait les voir….

Des fois j’avais le droit à plus d’argent. C’était parce que je travaillais avec mon père. Ils disaient que c’était normal. Ils savaient bien que je travaillais. On avait des parcelles autour de chez eux. Ca les gênait un peu que je ne m’amuse pas comme les imbéciles de mon âge. Ils le disaient bien à mon père. Pour moi, le travail, c’était ça ou ne rien faire.

On retournait chez les oncles deux ou trois fois l’hiver. Pour dire bonjour. Des fois c’était eux qui venaient chez nous. Ils ramenaient toujours quelque chose. Ca mettait l’ambiance dans la maison. Ca discutait en breton à gauche, on racontait les événements du bourg à droite. Tous les jeunes étaient passés en revue. Pour savoir où on en était à l’école. Connaître les brigades de tarés qui constituaient nos classes respectives. Pour savoir si on n’avait pas le petit-fils ou la fille qui était connu. Moi aussi on me demandait des détails. On voulait connaître mes histoires à l’école. C’était les premières fois qu’on s’intéressait à moi…

C’est encore en rentrant de l’école que les nuages ont définitivement couvert le soleil. Tous les mondes avaient du chagrin. Moi je ne sais plus trop. Sûrement. Je veux pas dire.

C’était notre tante qui était partie sans nous. Sans prévenir surtout…Elles étaient bel et bien finies les vacances. On avait changé de cours. C'était aussi notre jeunesse qu'on enterrait. On laisse tous quelques bouts de vies quelque part. Les rayons de bonheur avant les premières averses.

Mes parents n'avaient vraiment pas le temps de s'occuper de nous. Aussi, notre grand-mère paternelle nous aidait pour les devoirs. Les obligations terminées, j'allais regarder les infos avec mon grand-père. Je m'asseyais par terre, en dessous de la table, à côté du pied. On était tous les deux à regarder le monde. D'abord sur la trois et après sur la une. Dès qu'il y avait pause, j’allais prendre le far (le flan breton). C'était le restant du midi. Je prenais un bout pour moi et un autre pour mon grand-père. L'habitude. On stockait le flan dans un vieux poêle. Un Rosière qu'on l'appelait. La porte claquait quand on l'ouvrait. C’était mon petit plaisir sonore. Moi je sucrais mon far. Sur le petit carré, je réalisais un énorme monticule de sucre que je m'empressais d'engloutir. Forcément, la moitié du sucre foutait le camp, mais quel plaisir ! Ca craquait sous la dent. Des fois, le far sentait la viande. Parce qu’on stockait les restants de viande dans le poêle. Pour moi, j'avais l’occasion de sucrer encore plus ma portion de far…

Nos grands-parents vivaient avec nous. D’après moi ce devait être la règle pour toutes les familles. Mais non. C’était parce que nous, on n’était décidément pas pareils que les autres. La différence, dans la famille, on savait bien la cultiver…

 

© Benoît L'HOSTIS 2006

 

 

Sûrement que si…

Sûrement que c’est le dégoût qui m’a amené là. La rancœur aussi. Tout ce que j’ai vécu avant. Et puis les autres, surtout. Les autres. Avec leurs ceci leurs cela. Tous leurs soucis. La misère du monde est chez eux, à les entendre.

Les punks m’emmerdent. Ils s’inventent des histoires, enfin, certains.

J’en connais, moi, de ces punks. Un de mes amis en est un. Ses parents sont loin d’être pauvres. Lui il a pas connu comme moi. On n’est pas du même monde. Du coup, je pense que tous les punks sont des fils de riches. Et puis certains sont franchement cons. Ils se déclarent communistes. C’est vrai que les anarchistes et les communistes s’entendent comme pas deux ! On oublie vite que les communistes ont tué les anarchistes lors de la guerre d’Espagne. Et puis ceux qui ont été déportés…

Mais bon ! Ca plaît aux filles, les punks communistes… Et puis, on est là pour faire la fête. Faut penser à rien. Etre con. Faut boire de la bière taxée par l’état.

Alors moi, du coup, dans les concerts, je ne parlais pas. Je restais dans mon coin. Et puis, j’étais tout le temps seul, alors ça intriguait beaucoup. Ma tête, elle ne leur revenait pas. Il y en a un qui s’est décidé.

" Hé ! T’es pas d’ici ! On t’a jamais vu avant ". Moi j’ai lâché que je venais de Bretagne. Ca a fait son effet, le fait que je vienne de Bretagne. Ils découvraient que ce n’était pas une légende, que ça existait bien les Bretons. Ca ma valu des bières taxées par l’état, gratuites. Mais ce n’est pas intéressant longtemps un Breton qui ne parle pas beaucoup. Moi ils m’ennuyaient les punks communistes. Il y avait une punkette, une qui regarde dans les yeux. Elle m’a avouée que dans le squat, tout le monde pensait que j’étais des RG ou un flic. C’était parce que je venais seul dans les concerts. Ils s’inventent vraiment beaucoup trop d’histoires, les punks !

Les autres, ils cherchent des histoires. Un soir que je rentrais, des jeunes sont venus à moi. Ils en voulaient une, d’histoire. Des jeunes pas pauvres. Des qui sentent le parfum. Ils voulaient mon portable. C’était pour appeler leur mère. Mais ça puait trop le flouze et l’embrouille à plein nez. Courir vers moi, à quinze, en riant, pour que je passe mon portable, pour appeler leur mère… Ils auraient pu trouver mieux. Fallait au moins deux voitures pour embarquer tous ces ignares. Je leur ai répondu en faisant le gars un peu bourré, vu que je sais bien le faire.

Lorsque certains ont vu la barre à l’oreille, ça leur disait moins, d’avoir des histoires. Enfin, je crois que c’est la barre à l’oreille qui les a fait réfléchir. " Mais, pourquoi vous voulez mon portable ? " que je redemandais. Celui qui voulait vraiment jouer, il m’a répondu que c’était pour appeler sa mère. Pour les faire chier j’ai fait semblant de me barrer. Celui qui voulait jouer, il m’a suivi. " Vas-y, vas-y, tu allais me le donner ! " qu’il disait en marchant. " - De quoi ? " " - Ton portable, vas-y, tu allais me le donner ! ". Il me parlait comme à un vieux clodo qui a trop bu et qui perd la mémoire. " - Pourquoi tu veux mon portable ?" que je redemande. Il a senti l’arnaque. Il a commencé à s’énerver. Les autres qui en voulaient vraiment plus de l’histoire, ils sont venus le rechercher, leur pote, pour le calmer.

Cinq minutes après les avoir quittés, un jeune m’a rattrapé. Il venait en courant. Paniqué. Les autres venaient de lui voler son portable…

 

© Benoît L'HOSTIS 2006

 

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Son nom, je ne le sais même plus. Elle pourrait bien s’appeler Simone, ou Déborah, ce n’est pas l’histoire. L’histoire elle ne donne pas son nom non plus. Ou on l’oublie aussi, c’est du pareil. Elle, je m’en souviens bien. De l’histoire aussi. Ca commence par une journée où on a rien prévu. Rien de précis. Moi, les journées où je prévois rien, je finis chez le disquaire ou à la bibliothèque. Dès fois dans les bars, pour le café ou le cidre quand il y en a. Mais c’est rare, que ce soit dans les bars. Ca coûte, et puis il y a les résignés, ceux qui connaissent le patron. Et puis toujours les mêmes histoires. Usées à force d’avoir été retournées dans tous les sens, les histoires. Non, les bars c’est que quand il pleut ou les jours de froid. Là c’était à la bibliothèque que j’étais. Dans la partie Médiathèque. Il faisait froid quand même. J’étais l’un des seuls à y être, pour choisir des CD. Maintenant c’est fini les CD. C’est le MP3. Le téléchargement. Des fichiers. C’est la quantité qui compte, pas la qualité. Faut consommer. Moi j’y connais rien, à la musique. Moi j’écoute du rock. Ca revient à la mode y parait. Il était mort le rock en plus. Moi qui écoute ça depuis des lustres, c’est bien la preuve que j’y connais rien. Les autres, ils connaissent tout, eux. Suffit d’écouter. Moi j’écoutais le bruit des boîtiers qui se cognaient lorsque je passais en revue les CD. Du boucan pour la bibliothèque.

Surtout quand on est seul, c’est plus gênant. Ca fait écho. Vu que j’y connais rien, faut que je passe tous les CD en revue. Ca fait beaucoup pour la bibliothèque. Je faisais défiler les CD.

Elle, je sais pas d’où elle est venue.

Elle avait un pantalon déchiré, avec un caleçon long en dessous. On le voyait par les trous au niveau des genoux. Les genoux, ils auraient pu être cachés par son pull, tellement il était trop long pour elle. Il dépassait largement sa veste kaki. Plus très kaki d’ailleurs. Le vert bataillait avec des traces de peinture blanche. Un peu de gras aussi. Elle était sale en fait, la veste. Et puis les cheveux en bataille. Avec un pinceau dedans, pour tenir le semblant de coiffure.

Elle est passée devant moi, en jetant un petit regard dans ma direction. Je me suis caché derrière la visière de ma casquette. J’ai regardé mes baskets. C’est que j’étais mieux sapé qu’elle ! Mes baskets étaient légèrement trouées. Mon pantalon aussi. Mais pas au niveau des genoux. Plus haut. A l’entrejambe. Je cachais la misère tant bien que mal en tirant au maximum mon T-shirt de " Dirt " vers le bas. Même que ce T-shirt, il n’y a que moi qui sais qu’il représente mon groupe favori, tellement il est usé. On voit plus très bien de loin, mais il y a eu un imprimé dessus. Il y a quelque temp. Il fait l’affaire quand même. Il couvre bien mon T-shirt manches longues et les deux autres qu’il y a en dessous. Il faisait froid dehors aussi. L’hiver qui approchait. Il ne faisait pas encore trop gris. Elle, elle n’avait pas l’air de se plaindre du froid. Elle divaguait à son gré, remuant quelques CD, le tout avec une désinvolture notoire. Je ne la regardais pas, je la sentais.

Elle est venue dans la même rangée que moi. Comme on se rapprochait, je l’ai observée. Elle ne s’est pas tournée vers moi, mais elle a esquissé un sourire. La pochette du CD l’a fait rire. C’était peut-être parce que je l’avais regardée aussi. Je lui ai demandé ce qu’elle écoutait comme musique.

Juste comme ça. J’aurais pu lui dire bonjour ou lui dire qu’il faisait froid dehors, au cas où elle ne l’aurait pas remarqué. Le mieux c’aurait sûrement été de lui parler de mon T-shirt de Dirt, pour savoir ce qu’elle en pensait… Mais non, je lui ai demandé ce qu’elle écoutait comme musique. Ca l’a un peu surprise au début, puis elle a semblé être contente. Elle avait réussi à me faire parler. Il y avait un grand silence dans la bibliothèque, vu qu’on ne remuait plus les CD. " Beaucoup de truc " qu’elle a finit par lâcher. Petite voix, mais un ton sûr. Du genre libre et indépendante. Style " faut pas me chier sur le froc ! ". Peut-être pour cacher un peu de sensibilité. Quelques noms de groupes ont fusé, pour montrer que ce n’était pas des bobards, qu’elle écoutait bien de tout, en musique. J’ai aussi donné quelques noms, pour ne pas me laisser submerger. Comme ça collait, on a continué. C’était à celui qui ne connaîtrait pas le groupe, celui-là perdait. J’ai marché un peu au début. Mais pas trop longtemps. Le jeu m’ennuyait. Elle avait gagné un peu aussi. Et puis on a fini par parler de moi. Au fait que je n’étais pas du coin. Ca l’a rendue bien curieuse. Un petit peu au moins. Le temps passait. Elle a été plus soucieuse d’un coup. Elle devait retrouver sa sœur qui était dans la partie " littérature " de la médiathèque. Elle s'est barrée, s’est retournée, puis m’a fait signe de la suivre. J’avais des CD à emprunter et ma besace à récupérer à l’accueil. Je réfléchissais le temps de retirer mes emprunts. Je n’étais plus trop sûr de l’affaire. Je préférais rester toute mon après midi à faire du bruit avec les CD. Finalement je me suis décidé pour l’aventure. Ca aiderait à passer la journée. Et puis, c’était à savoir où tout ça nous mènerait. Pour l’instant ça me menait à la bibliothèque. J’ai fouillé dans quelques rayons, mais il n’y avait rien. Enfin, pas ce que je voulais. Il y avait juste quelques silencieux évanouis dans les livres, ou des commères qui troublent le sommeil de la bibliothèque. J’entamais mon retour en allant récupérer ma besace. J’hésitais à sortir, à cause du temps. Et puis la résignation était plus grande. J’allais encore rentrer seul en marchant, tête baissée, dans les caniveaux. Ou en longeant les murs et glaviotant de temps à autre. Résolument décidé à rentrée, je suis finalement sorti.

C’est là que je l’ai aperçue. Elle s’était assise sur les marches du perron, juste à la sortie. J’ai fais exprès de passer à coté d’elle, sans un mot, en descendant les marches. " Je l’ai pas trouvée… " qu’elle m’a lancé dans le dos. Je me suis retourné et je suis resté la regarder. J’avais envie de partir. Il faisait trop froid pour avoir des histoires. Et rester attendre sur le perron de la bibliothèque, c’était pas pour moi. Elle fumait sa clope. Une roulée. Elle regardait ses pieds. J’allais regarder les miens, mais une fille est apparue sur le pas de la porte. Elle n’était pas grande. Elle enfilait un bonnet, un livre entre ses jambes. " On te cherchait… " qu’elle lui a targué. " J’ai trouvé un bouquin sympa ! ". Elle était drôle. Elle n’était pas grande, mais énergique. Son visage était coincé entre le col de son manteau et son bonnet. Elle s’est approchée de sa sœur en ouvrant l’ouvrage. Je me suis approché aussi pour voir les illustrations. Elle a compris que ça sœur me " connaissait ", alors elle m’a fait partager. J’ai pas trop saisi ce que c’était. Il y avait plusieurs images, des œuvres d’art sûrement. La fille que je venais de rencontrer n’avait pas l’air emballée non plus. Sa sœur a fini par refermer le livre. " Tu viens avec nous ?... " m’a-t-elle fait d’un geste. Oui, j’allais avec elles. Où ? Je ne savais pas. Elle, elle a commencé à parler. Après m’avoir demandé ce que je faisais, elle m’a raconté toute sa vie. Elle, c’était la grande sœur. Pas de frère. Toutes les deux elles étaient en Fac d’art. Elles étaient de la région. Elle aimait la musique. Faire des marionnettes. " Tiens, tu viens chez nous ? On va te montrer notre nouvelle déco. Tu nous diras ce que tu en penses… ". Moi je disais trop rien. Un peu de oui, un peu de non. Sa sœur, que j’avais rencontrée en premier, ne disait rien non plus. Ca valait pas la parlote. La sœur continuait. " J’aime bien ton piercing. " a-t-elle ajouté.

On a longé le musée, direction le centre. Place Gambetta il y avait des animations. Un manège pour les plus jeunes. Des gaufres et des sucreries pour tous les mondes. Les filles trouvaient ça mignon. Il fallait prendre la chose en photo. Ca sentait vraiment l’hiver. Les vieux passaient le temps sur les bancs publics. Les jeunes faisaient terrasse pour les cafés. Bières pour les plus téméraires. Beaucoup de monde dans la rue piétonne. Certains discutaient et formaient des groupes en plein milieu. D’autres sortaient des boutiques avec des cartons ou des sacs pleins les mains. Des qui étaient un peu plus jeunes squattais les bancs, en groupe, et interpellaient les filles. Les filles se montraient, pour que les garçons les interpellent. Et puis les poussettes, avec les bébés du printemps ou de l’hiver dernier. Et les filles. Et les garçons.

Nous on a remonté la rue piétonne, en longeant les bâtiments. On n’avait pas besoin de se faire remarquer. Elle est longue cette rue quand il y a beaucoup de gens. Et on ne respire pas là dedans. Ca sent la nervosité. On joue des coudes, du corps. De la beauté aussi. On se montre. On passe la journée en espérant se mettre une petite histoire dans la tête. On passe la journée…

On est arrivé à la gare. Traversée la rue, on est rentré dans le Gaumont. C’était plus court pour le chemin. Il faisait plus chaud aussi. On a regardé le programme pour savoir ce qui se tramait dans les semaines à venir. On a parlé ciné aussi, du coup. Cette discussion a duré. On marchait. Je les suivais, en ne parlant plus. Puis on est arrivé, à leur appart’. Leur appart’, il semblait mieux que le mien. C’était pas dans une vieille maison au moins. Sa sœur a ouvert la porte, et l’a presque refermée derrière elle. Elle s’est mise à courir. Elle a appelé l’ascenseur. Les portes se sont ouvertes à notre arrivée. Elle a sauté dedans et a appuyé pour l’étage. Elle me parlait de ses voisins. Racontait des idées à leur sujet. Ca faisait bien rire sa sœur. Les portes se sont ouvertes. Elle a continué son spectacle avant de nous ouvrir la porte de l’appart’.

Un peu surpris.

Je m’attendais à une déco plus originale. En fait, je voyais pas trop le côté déco. C’était un petit appart’, 15M² maximum. C’était plutôt normal. Les filles se sont activées pour ranger le bordel, et pour faire à manger. Je me sentais pas trop à l’aise. Je n’avais pas vraiment prévu que je mangerais chez elles. Il n’était pas encore 18 H. Enfin, elles m’invitaient après tout.

Elles ont mis de la musique. Les Andrew Sister’s que c’était. Génial. Du jazz année 20, un peu swing sur la fin. C’était sur ce groupe que la plus jeune des sœurs m’avait collé à la bibliothèque. Le côté décalé me plaisait bien. Je regardais à la fenêtre. La vue sur la rue était pas gaie. Le pignon de l’église en face, et plein de maisons. La ville.

J’ai aidé un peu à la bouffe histoire de m’intégrer. On discutait pendant que ça mijotait. Passé à table, on a sifflé les restes du midi. Salade de carottes avec des reliquats de fromage et de céleri. Puis des pâtes. Elles prévoyaient la soirée. L’une devait aller au théâtre, pour une affaire de compte-rendu pour un cours quelconque. Moi j’irais avec ma rencontre. Il y avait un apéro concert au Charleston. Je connais bien ce bar. Il est tenu par des skins. Mais des pas faf, des apos. Ils ont les lauriers, ça trompe pas. Et puis, s’ils en étaient, leur bar tiendrait pas. Il y a des punks et des rouges dans la ville. Ils feraient le nettoyage.

Après le concert, on irait sûrement à une soirée. De quoi on savait pas. On verrait bien.

Après le d’witche, on a mis le programme à exécution. On devait juste repasser vers vingt heures pour déposer les clefs. On a fait le chemin direction centre. C’est passé à la flotte sur le trajet. On ne s’est pas pressé pour autant. Elle me semblait pensive. Voulait pas trop l’ouvrir. Et puis on a fini par y arriver. Le groupe avait commencé. Il y avait déjà pas mal de monde. Du monde connu a priori vu qu’elle m’a quitté pour aller leur dire bonjour. J’ai dit bonjour à un gars que je connaissais de vue. Puis j’ai pris place. Le patron s’est rapproché pour la commande. Demi. J’étais pas mal placé. Dans le coin, à la planque. Je voyais un peu le groupe. Rock. Ca se valait. Pas la grosse ambiance. C’est pas le public qui améliorait la situation. J’allais à la rêvasse. Un peu épuisé aussi. Elle, elle avait trouvé son bonheur. Ca a duré bien un temps. Je m’endormais.

Elle est revenue pour me dire qu’on y allait. Qu’on rentrait chez elle. J’avais l’impression qu’elle jouait avec moi. " Vas-y toute seule… " que j’avais envie de lui dire. " On regarde un peu avant ? ", que je lui ai finalement demandé. L’idée ne lui a pas déplu, mais fallait pas rester longtemps. Ca me tannait bien aussi de refoutre mes baskets à la flotte. On pouvait attendre que ça sèche un peu. Et puis rien ne pressait. Pas pour moi toujours…

Le groupe jouait. Il se donnait bien en tout cas. Nous on était comme des cons assis, à les regarder se bouger. Elle me piquait de la bière de temps à autre. Et on l’a finie. C’est alors qu’on a décidé du départ. Elle a salué d’un geste les gens avec qui elle avait discuté. " P’tête à t’à l’heure… ". L’averse était finie. Il fallait rentrer vite, pour la clef, la donner au copain de sa sœur. Et puis prendre du vin ou autre chose. En chemin, elle me parlait. " Alors comme ça tu écoute du punk… ". Je ne confirmais pas ses dires. Je n’écoute pas que ça non plus, loin de là. " Les punks ici, ils y en a qui sont à moitié catho ". Voilà ce qu’elle m’a dit. Pauvres punks !

C’est plus ce que c’était. Je pensais au début que cette remarque m’était destinée. Mais à y réfléchir, c’était présomptueux de sa part de me considérer comme punk. Pourtant, moi, ça m’intriguait bien de savoir pourquoi elle m’avait fait cette remarque. A moi. On se refaisait le chemin d’il y avait quelques heures. On a fini par parler des relations homme-femme. Ca l’a rendu bien bavarde. Enfin, ça m’a plu, moi, de la sentir à l’aise sur une discussion. On débattait bien. On était sur le même chemin. Moi aussi j’étais plus à l’aise du coup. On est arrivé à l’appart’ à 20H. Peut-être une ou deux minutes après 20H, mais pas plus. Fallait arriver à 20H, c’était ça qui était convenu. On était à peu près à l’heure.

On a attendu à l’appart qu’il arrive, le copain. On s’est installé vite fait à table. Comme il restait des pâtes, on se les ai fait réchauffer, comme ça. On avait faim. La marche, tout ça. Elle a trouvé du vin, un peu de bière. On s’est ouvert une bouteille en mangeant. On revenait à la discussion homme-femme. Ceci, cela. Ca dérivait. Je lui ai dit que ce que j’aimais, c’était serrer une fille dans mes bras. Ca l’a fait rire. " On me l’a jamais fait ". Je ne sais pas pourquoi, je lui ai demandé " je peux te prendre dans les bras ? ". Moi, je trouvais ça con à demander. Plutôt cul la pral’. Pas méchant. Mimi un peu. Mais non. Elle l’a mal pris. C’est comme ça les filles, on sait jamais. " Là je crois que tu y es pas !".C’est ce qu’elle m’a dit. Je venais de merder la soirée, comme d’habitude. Elle s’est renfermée. Ca se sentait au regard. J’étais pas déçu. Ou peut-être trop pour ne pas le ressentir. " Bon ! On y va… ". Là, elle s’énervait. J’avais au moins gagné ça. Elle reprenait la misère comme carapace. Mais elle devrait me la laisser, à moi, sa misère. Qu’on en parle plus. Alors on est sorti en speed. L’autre, le copain, les clefs, il les aurait pas. Tant pis pour lui. Moi je disais plus rien. Valait mieux éviter. Fallait vraiment pas lui chier sur le froc…Elle cherchait l’engueulade. La vraie. Elle voulait que je l’ouvre bien une fois. Moi, je la laissais à ses espoirs. Mais il y a l’ennui. Et l’ennui c’était que je savais pas trop où on allait. Sûrement au concert dont on parlait depuis quelque temps. Ca l’embêtait bien de ne pas pouvoir m’envoyer à la ballade une fois pour toutes. J’étais pas à l’aise non plus. L’envie me faisait du pied de râler un bon coup. Crier un peu. Ne pas laisser la chose dans l’état. Finalement je l’ai laissée, la chose. On est arrivé dans la rue. On parlait plus. On marchait, côte à côte. Le vent coupait l’envie de parler. La gare, et puis tour Perret. Des SDF préparaient leur soirée. Buvaient un peu, aménageaient les cartons. La fille les connaissait. Elle leur a parlé. Ils étaient sympas. Ils m’ont demandé une cigarette, mais je fume pas. Pas les multinationales de la mort. Ils m’ont proposé de leur rosé. J’ai pris, moyennant quelques cents. Un casque. Un des gars avait un casque. De l’armée. C’était son trésor. Il me l’a montré, avec un bonheur communicatif. Il n’avait pas tout perdu. Il avait encore le bonheur…

On est parti sur quelques au revoir. " C’est des amis… ". Je l’ai trouvée prétentieuse sur cette affirmation. Je n’ai rien dit. Presque. " Ha ? … ". " Il faut que je taf un peu, faut que j’aide ma sœur pour le loyer… ". Elle reprenait la parole. Ca m’a fait plaisir. Tirer la gueule toute la journée ça donne la nausée. On a traversé le centre. Elle parlait de temps à autre. Je répondais oui. Parfois non. Elle m’a attendu le temps que je pisse un coup dans la rue, dans l’obscurité. Il commençait à pleuvoir. Elle avait pris quelques bouteilles avant de partir. Elle m’en a passé une que j’ai rangée dans ma besace. On faisait la paix. Mais la paix c’est précaire. Je le sais bien. Je disais rien. Si je commençais à parler, je ne m’arrêterais pas. C’est toujours pareil. Je déteste mais je ne résiste pas. Je lui ai laissé la parole. Qu’elle en fasse bon usage. Non. Elle n’en a pas bien usé. Elle a fini par lancer un discours. Alors qu’on sortait de la ville. Qu’on longeait les quais, le chemin de fer.

Elle m’a parlé de la société. Du mal qu’elle faisait, la société. Elle disait qu’il fallait tout changer, tout casser, et ceci et cela. Moi, je lui ai dit ce que j’en pensais de son discours. Je lui ai dit que la société, elle, elle s’en foutait bien de sa gueule. Que la société, le changement, elle n’en veut pas. Elle veut du TF1 ou du Canal +, la société.

Mais elle voulait vraiment que j’adhère à son projet de changement. Elle voulait aussi qu’on oublie l’histoire et qu’on se chamaille sur une autre. Le traité de paix ne tenait pas. Je n’ai pas continué la leçon. Je l’ai laissée à ses espoirs. J’aurai quand même bien voulu lui dire que la société, elle se carrait bien son projet là où je pense. Ses projets, il valait mieux qu’elle les empaquette dans du plastique pour que ce soit plus présentable. Et son nom et ses idées, c’était du rien dans le mou de la société. La société elle préfère manifester le mercredi et aller chez Carrefour le samedi. Ca fait 50 ans qu’elle vote pour le changement la société, ce n’est pas ses petites idées qui allaient passer les 50 %. Et puis, ses idées c’était pas à moi qu’il fallait les donner. A d’autres. Les autres ils voudraient peut-être y rêver au changement. Y rêver seulement…

Moi je rêvais à force, mais pas de changement. Je rêvassais de tout. De rien aussi. Elle parlait toujours de ses idées en marchant. Ca passait le temps. Ca m’évitait de l’ouvrir aussi, son auto discours. J’ai ouvert la bouteille. Bu quelques grosses gorgées. Ca passait. Tout chaud pour la gorge. Je la lui ai refilée, un peu rassasié. Il pleuvait bien encore. De la grosse goutte en plus. Bien froide. On longeait les usines, la voie ferrée. C’était la zone industrielle nord qu’elle m’a dit. Elle montait bien la zone industrielle nord. L’eau elle, elle redescendait, en noyant mes godasses au passage. Et puis on est arrivé. Elle a laissé sa discussion de changement pour me le dire. C’était une vraie usine. Une ancienne du moins. Une qui avait dû en voir des ouvriers. Des grèves aussi. Elle m’a fait part de son inquiétude de voir la grille d’entrée fermée. Elle avait vu juste. Elle était fermée. Un cadenas. On n’allait pas laisser nos espoirs sur une grille. C’est par dessus qu’on prévoyait de passer. On n’a pas eu le temps. Des gens sont sortis de la nuit. " Vous voulez rentrer ?... " nous a lancé le premier en sortant les clefs de sa houppe. L’autre qui le suivait a aperçu ma guide. " Tu es venue ! ". " Ouais ! T’es là aussi… ". Son visage s’est éclairci sur cette constatation. C’était pas avec moi que cela arrivait. On s’assombrissait plutôt de mon coté. Il n’a pas eu le temps d’ouvrir le portail qu’elle s’est engouffrée à la première brèche. Ca devait faire quelque temp qu’ils ne s’étaient pas vus. Ils ont disparu dans l’obscurité. J’entendais quelques voix. " C’est pour éviter que les bleus viennent faire chier… " qu’il m’a expliqué le geôlier, en refermant la grille. " L’autre jour ils sont venus les bourr’. Ils ont dit d’arrêter le bordel. On a dit que c’était un anniversaire. Ils ont juste dit de baisser le son et se sont barrés… ". J’avais perdu la fille, mais je m’étais fait un nouvel ami. Il avait l’air d’avoir connu. Plein de grandes aventures et tout, et tout. Je lui ai dit que quelqu’un m’attendait à l’intérieur. Je me suis lancé dans une direction indéterminée en lui souhaitant bonne soirée. Rien n’était éclairé. Seules deux entrées, qui étaient allumées. J’ai pris la première, en slalomant entre les chiens en divagation. Il y avait des gens qui attendaient. Des pas commodes. Ils se préparaient des mixtures pour la soirée. Ils étaient équipés. Lampes, couteaux, briquets, blousons… Je me suis mis en bout file sans rien dire. Je les regardais faire. Comme j’étais intéressé, un des gars m’a tendu une bouteille. " Va-y, sers-toi… ". Je ne voulais pas me faire remarquer. Et puis fallait passer le rite des autochtones. Donc j’ai bu. Ce devait être un mélange avec du rhum. Du mélange à pas cher. Pour faire passer le goût. Pour oublier l’alcool. Je les ai remerciés par un geste de la tête, en leur tendant la bouteille. Ca réchauffait bien quand même. Je suis resté quelques minutes avant de constater que la file n’avançait pas. En me rapprochant, j’ai pu comprendre que c’était les toilettes… Eux, ils n’attendaient pas d’y passer. En l’absence de ciel étoilé, ils leur étaient plus faciles d’échanger dans un endroit abrité…

Je suis parti discrètement à l’autre entrée. Il y avait nettement moins de monde. Trois gars attendaient, un assis sur les escaliers prés de la lourde, deux autres avachis sur leurs chaises derrière un restant de table. C’était carrelage partout. Des gros draps lourds, du carton et de la ficelle étaient tendus dans la longueur pour cacher la misère. Par la disposition, ça formait un chemin. J’ai monté les quelques marches pour m’approcher du semblant de table. " soir !... " m’a lancé le casquetteux. Je me sentais con d’arriver tout seul. Avec un chien ou une bouteille c’est quand même mieux.

" - Alu. C’est combien ?… ". " - Trois euros...Maintenant si tu veux en donner plus…". J’ai tâté mes ronds dans l’ larfeuille et constitué un semblant de trois euros. Le gars à côté du caissier se roulait un pet’. Il s’en tapait bien de ma gueule. J’aurais pu être célèbre, lui il avait son affaire. Ils avaient collé une affiche sur leur table hybride. " Restez dans l’allée centrale ". Ca avait l’air sérieux ce qui se tramait derrière les rideaux. J’ai tendu mon bras pour le tampon. Enfin pour qu’il me foute de l’encre. " Bonne soirée ... ".J’ai suivi l’allée centrale vu qu’il n’y avait pas d’autre chemin. Un autre panneau rappelait la consigne. Moi j’y restais bien dans l’allée centrale. C’était le seul endroit éclairé. Dans le milieu de l’allée, les rideaux se cassaient la gueule. Ca m’intriguais bien ce qu’il y avait derrière. J’ai passé ma poire au dessus des rideaux. C’était sombre, mais j’arrivais à discerner certains détails. C’était en carrelage aussi. Seulement le sol était percé par d’énormes trous. A première vue, ce devait être pour les anciennes structures de l’usine. Une fille est apparue au bout de l’allée. Elle remontait un vieil escalier, en fer rouillé. Elle était pas très grande. Elle avait des dread plein la tête. Joli visage. " Salut… ". " Alu… ".

J’ai baissé la tête en la dépassant, pour me cacher derrière ma visière. J’ai pris ma besace en crispant ma main. Elle m’a jeté un regard. D’où est-ce qu’il vient ? Voilà ce qu’elle devait se dire. J’ai emprunté l’escalier en fer vu que c’était ma seule solution. En colimaçon qu’il était l’escalier. De la musique se faisait entendre. J’entendais de la parlotte aussi. Il faisait plus sombre arrivé en bas. Tout en carrelage aussi. Comme à la piscine. Sauf que là, j’étais au fond, et sans eau. J’ai avancé vers la lumière, comme les moustiques attirés par un projecteur. Je me retrouvais au niveau inférieur à celui où j’étais il y a moins d’une minute. La musique venait d’un petit local au bout de la piscine. Des ignares étaient étendus dans la pénombre sur des vieux fauteuils de voiture ou de salon. Ils discutaient en fumant ou buvant. Peut-être à la santé de celui qui les enterrerait. Je me suis dirigé vers le local. " Fermez la porte " qu’ils avaient écrit. A entendre leur bordel techno, il valait mieux. Moi la porte, je l’ai ouverte. Mes oreilles se sont fermées. Soixante-dix personnes dans cent mètres carrés. Voilà ce que c’était, le lieu de concerts. Il faisait chaud. Et humide aussi. De la vapeur remontait pour former un brouillard ambiant. J’ai refermé la lourde et je me suis appuyé contre le mur au fond de la salle. Ca puait un mélange de transpiration, d’alcool, de chaussettes mouillées, de bière. La bière, il y en avait. Un euro la 25 cl qu’elle était. Le réconfort. Je m’en suis pris une pour me noyer l’intérieur. Fallait oublier le dehors. Oublier la pluie, les gens. Et puis, la vie surtout, et les emmerdes qui vont avec. Enfin, s’oublier….La teuf et les teuffeurs c’est pas mon truc. Les teuffeurs c’est pire que les punks communistes. Ils y connaissent rien à la musique. Encore moins à la politique. Peut-être à l’informatique, et encore. Mais bon, Il y en a des sympas quand même. Certains paient leur coup. Ou leur douille. Certains se la jouent quand même. Ce sont eux qui m’énervent. Jalousie peut-être.

La fille, elle discutait avec un des mecs vus au bar, quand le groupe jouait. Moi je discutais avec mon verre. Jusqu’à ce qu’un mec me reconnaisse. " Tu connais tous les lieus de concert de la ville !... ". A priori, selon ses dires, j’avais fait le tour. Lui, Je l’avais vu à un concert de noise. Il m’avait grillé, moi ,le nouveau, parce que c’est toujours les mêmes qui vont aux concerts de noise. J’étais pas sur la liste. Forcément.

Lui, il touchait à tout. En zik comme en produit. Du moment qu’il passait sa soirée. Et puis les filles. Il vivait au squat de Pont. C’était encore une histoire ce squat. J’y avais dormis déjà une fois. Des artistes en général. Bien conçu. Bien sympa, les gens et tout. On avait aussi passé une soirée chez les coloc’. Ca parlait Grind. Il avait joué dans un groupe et il avait vu The Locust en concert. Grosse soirée discussion.

Là il passait la petite soirée à la teuf. C’était pas trop son truc non plus. Mais ça passait le temps quand même. Il m’a filé quelques dates. Les concerts à venir. Puis ça a viré sur autre chose. La fille passait par intermittence devant moi me faisait des saluts jovials. Je répondais pas, ou peu. Pas trop envie. Préférait la discut’.

La discut’, elle s’est finie en dehors du son. Sur l’avenir. Les faux projets, les vrais angoisses, les vrais malheurs. Et puis, des blabla pour le passé, oublier le présent. Sur tous les verres bus, on s’est séparés.

Je suis remonté prendre l’air. Toujours à l’humidité. Temps de saison. Temps de rien.

Me suis assis sur les marches, près de la lourde. La jolie fille aux dreadlocks est apparue. Bien curieuse de ne m’avoir jamais vu à des teufs. Voulais lui dire que je ne n’aimais pas ça. J’ai préféré lui dire que j’étais pas du coin. Elle était du genre speed. Elle en avait peut-être pris. Ou un autre acide. Elle passait d’un truc à un autre. Suivait deux discussions en même temps. Il n’empêche. Elle était jolie. C’est moi qui suis parti. Je suis redescendu. Il faisait tard déjà. Tôt en fait. Enfin, le temps passait. Je me suis assis sur un vieux fauteuil. Là, le temps est passé plus vite. Il me manque des morceaux. J’ai dû dormir.

On s’est cassé la gueule sur moi. Je me suis réveillé. Ou je dormais pas ?. C’était elle. Elle voulait de mes nouvelles. Elle s’étalait. Sentait la bière. La clope. Elle s’est relevée. Ma entraîné dans son élan. Plus dans le noir. J’ai compris. Elle voulait.

Elle entreprenait la chose. Mais j’en voulais pas. Je voulais lui faire payer la journée. Jouer au salaud. Faire le difficile. Comme elle. Elle avait qu’à aller voir le casquetteux d’en haut. Il en voudrait peut-être. Qu’elle me branle, mais ça n’irait pas plus loin. Mais je bougeais pas. La fatigue. J’étais peut-être bien. Pas plus que mal. On faisait sans amour sans rien. C'était pas une fille à moi.

Et finalement, elle s’est résignée. On était mal placé. Et puis non. On avait juste besoin l’un de l’autre à ce moment-là. C’est tout. C’est tout.

On est resté à se tenir dans les bras. Comme des cons. Le temps passait. On dormait. Et je me suis refoutu dans le fauteuil, après un temps. Le monde pouvait crever. Je me rappelle plus. Je suis rentré. Ca me faisait chier, la teuf. Je crois. Je suis sûr. J’ai fait exprès d’oublier.

On s’est revu. Juste dit bonjour. Une ou deux fois. Jamais reparlé. A quoi bon.

Recommencer l’histoire. A d’autres !

 

© Benoît L'HOSTIS 2006

 

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